La marchandise et l’argent ; le travail ; le temps ; la politique ; les médias ; l’école ; l’art ; l’écologie et l’environnement ; l’autre et l’amour ; le sujet ; la pulsion sont les 11 dimensions réifiées par le capitalisme que nous avons d’ores et déjà introduites. Place, dans la dernière partie de cet article, aux 4 dimensions restantes qui compléteront notre analyse : le corps ; la santé, la douleur et la maladie ; la mort ; le langage et l’inconscient.
12) LE CORPS
Dans la mesure où il dessine les limites inhérentes à toute condition du vivant, le corps est un ennemi spécifique du capitalisme. Il représente de fait la dimension sur laquelle s’exerce avec le plus de force le procès de réification (ce dernier agissant in fine sur le psychisme et donc sur la pensée par la pression initiale qu’il entraîne sur la chair). La pensée s’étaye en effet sur les toutes premières sensations corporelles qui seront, petit à petit, assimilées …
Vous devez être abonné pour visualiser cette page.
Si vous êtes déjà abonné, veuillez-vous connecter.
Dans le cas contraire, abonnez-vous dès à présent.
Si vous êtes déjà abonné, veuillez-vous connecter.
Dans le cas contraire, abonnez-vous dès à présent.
- La fonction de l’objet maternant consiste, entre autres, à transformer – par le portage notamment – les angoisses archaïques projetées par l’enfant – issues de sensations corporelles encore non symbolisées et se traduisant, par exemple, en cris et en pleurs – en quelque chose d’assimilable par lui. En un mot, les parents « prêtent » leur appareil psychique à leur enfant pendant le développement de celui-ci. Pour comprendre le phénomène, que le lecteur se figure l’image de l’oiseau qui mâchouille le ver de terre dans son bec avant de le donner à sa jeune progéniture encore incapable de le digérer tel quel. Ce qui veut dire qu’à l’heure où l’enfant postmoderne représente une forme unique de prolongement narcissique pour beaucoup de parents (pour qui il est difficile de dire non de peur de perdre l’amour du « petit ange ») et, prenant en compte notre hypothèse initiale, à savoir qu’un individu réifié par le procès du capitalisme – dont le psychisme, c’est-à-dire son organe de digestion psychique, se retrouve, en quelque façon, abîmé dans ses tréfonds – ne peut que très difficilement ne pas renvoyer en miroir cette réification vécue à sa descendance, nous sommes ici peut-être confrontés à un phénomène de transmission inconsciente du processus de chosification d’une ampleur sans précédent d’un point de vue collectif. Ceci fera inévitablement l’objet d’analyses plus poussées de notre part dans le futur.
- Voir l’ouvrage de W. R. Bion Aux sources de l’expérience (1979) ou pour un résumé de son œuvre : Nicolas Geismann Découvrir W.R. Bion, 2012.
- Qui dépasse, bien entendu, le simple fait d’accumuler des coquillages ou des métaux précieux. Voir à ce sujet l’excellent ouvrage de l’historien Michel Beaud, Histoire du capitalisme, Seuil, 1981.
- Le corps étant devenu lui-même un capital en soi – il n’est qu’à voir à quel point des notions telles que capital humain ou encore capital-santé s’immiscent dans la langue –, chaque personne possédant un corps (c’est-à-dire, jusqu’à preuve du contraire, tout le monde) est en quelque sorte détentrice d’un capital à faire fructifier, et donc, si l’on reprend la définition stricte du terme, un capitaliste en puissance. Ce qui nous fait dire, parmi d’autres éléments probants, que le capitalisme est un fait social total – dont la dimension économique ne représente que la surface émergée de l’iceberg.
- Voir l’ouvrage du sociologue français Fabrice Colomb : Le capitalisme cannibale : la mise en pièces du corps, L’Echappée, 2023.
- Fabrice Colomb, ibid.
- Voir notre article Le troisième discours paradoxal : le discours du soin, la société du mépris de soi(n) paru dans le 39ème numéro (avril 2019) de L’Escargot déchaîné : https://www.escargotdechaine.be/pdf/
- Le transfert « désigne le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établi avec eux ». Dictionnaire de psychanalyse de Laplanche et Pontalis.
- Preuve en est la prolifération des « téléconsultations » ; l’impossibilité notoire d’avoir un contact avec le médecin lors de la prise de rendez-vous ; l’administration sans réflexion d’un vaccin expérimental à grande échelle…
- Ou médecine basée sur des preuves. Elle se définit comme « l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données disponibles pour la prise de décisions concernant les soins à prodiguer à chaque patient, […] une pratique d’intégration de chaque expertise clinique aux meilleures données cliniques externes issues de recherches systématiques ». Voir https:// fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9decine_fond%C3%A9e_sur_les_faits. La médecine n’est malheureusement pas la seule discipline à être touchée par le phénomène ; le domaine de la psychopathologie subit, lui aussi, une violente invasion de cette vision purement chiffrée de l’existence.
- Voir l’ouvrage du philosophe autrichien Ivan Illich : Némésis médicale : l’expropriation de la santé, Seuil, 1975.
- Qui renvoie pourtant au latin Hospitalia, soit un lieu d’accueil pour les indigents.
- « Nous ne le savions pas jusque-là, mais nous faisons désormais tous partie de la caste des “possédants”. (…). Cette ressource dont nous disposons et qu’on ne cesse de nous lancer au visage, c’est tout simplement notre organisme… Le capital-santé, cela ne vous dit rien ? » : https://www.agrobiosciences.org/ alimentation-117/article/le-capital-sante-ou-le-corps-du-delit.
- Voir l’ouvrage des psychanalystes français Roland Gori et Marie-José Del Volgo : La santé totalitaire : essai sur la médicalisation de l’existences, Champs Essais, 2014.
- Le mot soin renverrait au germanique « se soucier de, s’occuper ». Se soucier renvoie quant à lui au latin sollicitare (remuer, agiter). Le soin vu dans ce sens est tout l’opposé d’une forme de béatitude.
- Ceci vaut également (et malheureusement) dans certaines sphères psychanalytiques.
- Voir nos différentes analyses parues dans L’Escargot déchaîné https:// www.escargotdechaine.be/pdf/ : Socio-psychanalyse d’une crise sanitaire (n°42) ; Penser la crise. Le dixième discours paradoxal : une gestion libérale de la pandémie (n°44) ; Big mother veille sur toi : en marche vers un nouveau totalitarisme ? (n°45).
- La pulsion de mort renvoie à un élan interne propre à l’organisme qui consiste à retourner à l’état « zéro tension » qui préexistait avant la naissance de l’organisme en question. Elle est intimement liée à la Jouissance entendue comme satisfaction immédiate de la pulsion. Pour introduire le thème, le lecteur pourra se référer ici à l’excellent ouvrage du psychanalyste autrichien Sigmund Freud : Au-delà du principe de plaisir.
- Voir notre article paru dans le 66ème numéro de Kairos : Abrégé de Novlangue.
- Voir le roman de l’écrivain britannique Georges Orwell 1984.
- Voir L’ouvrage du sociologue français Alain Bihr La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste.
- Citation reprise de l’ouvrage du psychanalyste belge Jean-Pierre Lebrun et de la neuropsychopharmacologue française Beryl Koener : Changer de genre ? Comment le malentendu opère chez les jeunes… et chez les moins jeunes ?
- Jean Baudrillard. La société de consommation.
- Ce qui rend finalement superficielle toute théorie du « complot ». Par ailleurs, n’oublions pas que le fameux Big Brother du roman 1984 n’est pas un être humain en chair et en os, mais plutôt l’incarnation iconique du Parti que chacun – y compris les « élites » – intériorise à l’intérieur de lui.
- Que le lecteur nous comprenne bien : nous ne convoquons bien entendu pas cette donnée parce que le nombre de pochettes nécessaires à la sauvegarde d’une vie porte la marque de la Bête. Ce que nous désirons mettre en évidence, c’est qu’une vie humaine pourrait être sauvée en échange de quelques billets de papier, ce qui démontre implacablement le caractère fétichiste que l’argent a pris dans l’esprit des hommes et la puissance aveugle que ceux-ci lui accordent.
- Voir l’ouvrage de l’auteur : Une société à la dérive, 1974–1997, Seuil, 2005.
- Sauf si ce dernier finit par faire siens les nouveaux principes du capitalisme managérial (qui consistent, entre autres choses, à « horizontaliser » la relation entreprise/salarié afin que celui-ci se fonde en elle et intègre en lui ses principes – soit à introjecter pour de bon la croyance en la puissance du capitalisme, conduisant au sacre de l’individu autoentrepreneur de lui-même et maître de son capital humain), ce que Castoriadis ne pouvait peut-être pas encore deviner à son époque.
- Car, qu’on en fasse ou non l’apologie, force est de constater que le capitalisme est un modèle ô combien transformateur ; peu importe les chamboulements qui s’opèrent en son sein, il les intègre impitoyablement afin de se fortifier.