« La culpabilité est action, poussant le coupable à trouver une issue à sa mauvaise conscience, à tout faire pour se sentir mieux, quitte à se soumettre, à arrêter de se battre, à renoncer à sa liberté […] si on est occupé à se battre pour survivre à sa propre conscience, il ne devient plus possible de se tourner vers l’autre, de construire le monde. »(1)
Elsa Godart

Ben quoi, le masque?! Ça vous tuerait de mettre un petit bout de tissu sur votre visage ? Par contre, ne pas le faire tuerait d’autres personnes ! » ; « Moi, je respire aussi bien avec un masque que sans ! » ; « Donner cours avec un masque n’a posé aucun problème, ni à moi ni à mes élèves ! ». Voilà le genre d’assertions entendues pendant ou depuis l’épisode covidien. À l’entame de celui-ci, Aurélien Barrau, astrophysicien engagé dans l’écologie, s’était lancé dans un plaidoyer à coloration plus morale que scientifique, en 14 points, pour le port du masque(2), une grosse déception venant de la part d’un esprit que l’on avait d’emblée considéré comme brillant et critique. Il ne fut bien sûr pas le seul dans le cas parmi les « people » ; Pierre Palmade avait aussi prononcé sa petite leçon d’hygiénisme masqué, avant de provoquer un accident mortel. Comme quoi…
Alors que la liberté individuelle chérie par les « hommes économiques »(3) sous le néolibéralisme consistait jusque-là à rejeter tout ce qui pouvait apparaître comme une contrainte, subitement, quasi du jour au lendemain, par l’effet de la propagande, une écrasante majorité d’électeurs-consommateurs a accepté de bonne grâce de s’amputer le visage et de s’auto-asphyxier, à l’intérieur comme en plein air, « pour soulager le personnel des soins intensifs et sauver des vies ». Si la culpabilité ex ante était le sentiment dominant, émanait également de certains de ces muselés cet « orgueil d’obéir » que pointait Cioran. Lors d’une manifestation contre Ali Baba à Liège à l’automne 2020, tous les participants avaient la bouche et le nez couverts, à l’exception de trois personnes(4), aussitôt mal vues des autres. Combattre la tyrannie économique chinoise en reprenant sans sourciller un de ses codes du moment… étrange, n’est-il pas ?
« Est-ce vraiment utile et nécessaire de revenir sur le masque en 2023 ? », nous dira-t-on aussi. Eh bien, oui ! Kaarle Joonas Parikka a lancé les amabilités dans Kairos n° 60, et son article « La banalité du masque » aurait pu faire partie de ce dossier. La presse fonctionne parfois à contretemps ! Le masque est, phénoménologiquement parlant, pour le moins devenu un des symboles de la société disciplinaire telle que l’avait décrite Michel Foucault. Mais probablement est-il bien plus que cela : un cheval de Troie parmi d’autres vers les étapes suivantes, la société de contrôle (Gilles Deleuze), et pire encore la société de contrainte telle que l’avait annoncée Pièces et Main d’œuvre il y a une dizaine d’années(5). Pendant deux ans, il fut l’élément visible, quotidien, omniprésent de la guerre psychologique menée aux populations par la classe dominante et relayée par les médias serviles. Il fut le nouvel accessoire chic et choc du conformisme pour « une foule complexée qui cherche à plaire par la quête du consensus, coûte que coûte(6) ». En résumé, le masque sanitaire est un instrument de la biopolitique. Prophétisons un peu : il est presque certain que les autorités chercheront à nous le réimposer(7) dans un futur indéterminé, le premier galop d’essai ayant été très concluant. Mais alors ne nous y laissons plus prendre ! L’autonomie que nous revendiquons en tant qu’anti-productivistes a comme condition nécessaire, et non suffisante, de vivre sans masque-muselière, en sujets politiques libres et identifiables par leurs pairs, pas en zombies à maintenir en survie connectée.
Nous reconnaissons à quiconque le droit de voir d’un bon œil l’État thérapeutique « qui a augmenté notre espérance de vie à travers les progrès de la médecine ». C’est aussi notre droit d’estimer que son extension sans fin, sous la forme du psychobiopouvoir – pouvoir totalitaire sur les esprits et les corps –, n’est pas une option anthropologiquement désirable ni socialement viable. Notre dossier ne se limite évidemment pas à la défense d’une liberté individuelle, mais prend la hauteur nécessaire pour resituer le masque dans un contexte large, à la fois scientifique (avec Louis Fouché et Carole Cassagne), politique (avec Philippe Godard), psychosocial (avec Kenny Cadinu), philosophique et spirituel (avec Martin Steffens). Soyons anti-masques, plus que jamais !
Dossier coordonné par Alexandre Penasse et Bernard Legros
Addendum : à l’heure de mettre sous presse, le narratif covidien fait son retour dans les médias dominants. Nous les avions pourtant exhortés à faire leur examen de conscience et à rectifier le tir, en vain.
- Elsa Godart, En finir avec la culpabilisation sociale… pour être enfin libre !, Albin Michel, 2021, p. 17.
- https://www.oui-ensemble.org/blog/un-message-detonnant-aux-anti-masques-par-lastrophysicien-aurelien-barrau.
- Cf. Christian Laval, L’homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Gallimard, 2007.
- Elles se reconnaîtront !
- Cf. Frédéric Gaillard & Pièces et Main d’œuvre, L’industrie de la contrainte, L’Échappée, 2011.
- Elsa Godart, op. cit., p. 170.
- Il n’a par contre jamais cessé d’être recommandé dans divers endroits, comme les TGV.