Kairos 68

Février / Mars 2025

« Cordon sanitaire médiatique », ou le vide de la certitude

Le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump, Aurélie Didier, directrice éditoriale adjointe de l’Information et des Sports à la RTBF, justifiait le choix de passer le direct de la cérémonie avec un « léger différé », sans doute le seul pays au monde un média prendra cette décision.


« On a constaté à plusieurs reprises que Donald Trump a tenu des propos racistes, d’extrême droite, xénophobes, d’incitation à la haine également, et donc nous avons décidé de diffuser ce discours avec un léger différé, pour prendre simplement le temps de l’analyse, du décryptage. Et c’est une pratique que nous appliquons déjà depuis de nombreuses années à la RTBF, en Belgique francophone, avec d’autres médias, et que nous appelons avec un terme technique qui s’appelle le cordon sanitaire médiatique et nous permet tout simplement d’éviter de banaliser des propos d’extrême droite, des propos d’incitation à la haine, de normaliser ces propos. Alors il ne s’agit certainement pas de censure, évidemment la RTBF ne pratique pas la censure, mais nous ne diffusons pas ce type de propos en direct, nous les analysons et nous prenons le temps de les décrypter et de les encadrer ».

La décision éditoriale a fait parler, notamment en France, où Pascal Praud, animateur sur CNews et Europe1, a dénoncé un véritable ministère de la Vérité, digne de George Orwell. Ici, l’opportunisme politique ne s’est pas fait attendre, avec un Georges-Louis Bouchez, président du MR, proclamant : « La RTBF n’est pas le ministère de la Censure et de la Propagande ». Au contraire, elle l’est, monsieur Bouchez, depuis longtemps, et votre posture, feignant l’étonnement, révèle cette indignation sélective propre au vide politique, qui ne cherche que les occasions de taper sur « l’autre camp » pour se parer des contours de la vertu.


Au-delà de ce cirque politico-médiatique, a‑t-on vraiment décelé la signification profonde derrière la décision de la RTBF de ne pas diffuser en direct les discours lors de l’investiture de Donald Trump ? Tentons l’analyse.

  • Une pratique structurelle. Dans un premier temps, ce choix éditorial ne révèle pas quelque chose d’inédit, mais un fonctionnement structurel, propre aux médias qui sont au service du politique. Leur rôle de « chiens de garde », fabriquant du consentement, n’est pas nouveau. Rappelons d’ailleurs que la RTBF est dirigée par un conseil d’administration composé de 13 membres élus par le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont 4 proviennent directement du MR… La RTBF est donc politique, et les censures dénoncées stratégiquement par certains occultent celles qui leur sont profitables, n’est-ce pas Monsieur Bouchez, qui, par exemple, comme Valentine Delwart, a déclaré ses émoluments en tant qu’administrateur délégué du parti entre 2016 et 2019 comme venant du privé alors qu’ils étaient payés par la chambre des représentants et devaient être comptabilisés dans le total plafonné(1)
  • Censure préventive : cette censure préventive censée protéger le téléspectateur contre les propos de Trump, n’est aucunement différente de la censure des médecins, soignants, scientifiques et autres qui ne pensaient pas comme le gouvernement en temps de covid-19 et ont été empêchés de débattre. C’était aussi un cordon sanitaire médiatique, qui comme le dit Aurélie Didier, est « appliqué depuis des années à la RTBF ».
  • Le profond mépris du public. Derrière ce choix, il y a toute la morgue d’une élite hors-sol qui croit toujours tout mieux savoir que le « petit peuple » qui serait incapable de discernement. C’est l’infantilisation de la majorité, des spectateurs, qu’on considère comme pas assez matures pour penser. Évidemment, derrière le mensonge de la « protection » se trouve la volonté de contrôler le discours pour maîtriser le réel et in fine contrôler la pensée. Il n’en était pas autrement quand on identifiait pendant Covid-19 les manifestants à l’extrême droite, se basant sur le seul fait que parmi les centaines de milliers présents, une poignée s’identifiait à des mouvements qualifiés d’extrême droite.
  • Dire ce qu’on ne fait pas, faire ce qu’on ne dit pas. Se présenter comme vertueux fait partie de l’arsenal des censeurs : le ministère de la Vérité ne s’appelle pas celui du Mensonge, alors que c’est bien son véritable rôle. Aurélie Didier cite la censure pour mieux l’exorciser : « Il ne s’agit certainement pas de censure, évidemment la RTBF ne pratique pas la censure ». Évidemment, comme Big Brother pour qui la guerre c’est la paix, pour la RTBF la censure c’est la liberté d’expression, repris sous le terme de novlangue de « cordon sanitaire médiatique » (dont le fact checking est une autre expression).

Au fond, dans cette heureuse décision de la RTBF, « heureuse», car elle sert de révélation parfaite d’un fonctionnement structurel, il y a le vide de la certitude qui se dispense de toute réflexion en amont, ce qui la rend fracassante quand elle fait irruption dans le réel, c’est-à-dire que la certitude d’avoir raison est tellement grande que ceux qui choisissent pour les autres ne réalisent même plus la folie de leurs choix, la censure se parant des vêtements de la liberté. C’est digne du ministère de la Vérité d’Orwell s’écrie Pascal Praud ! Mais tout en est digne, cher Pascal, et vous avez été comme les autres idiots utiles de la farce médiatique quotidienne, juste que vous jouiez celui qui doute… mais souvent trop tard. Des journalistes comme Aurélie Didier sont des instruments typiques des systèmes qui sombrent vers le totalitarisme, appliquant avec zèle les mesures de ce type de régime, avec confiance, une certitude de caste et la sensation de faire le bien sans même vivre de dissonance, dénonçant sans vergogne les Autres, « non démocratiques », sans qu’arrive à leur conscience la cinglante vérité qu’ils font sans doute bien pire qu’eux.


Alexandre Penasse

Espace membre