La fin du clivage gauche/droite ou l’avènement de l’extrême centre

Autrefois, la gauche se réclamait du progrès social et des luttes ouvrières, tandis que la droite incarnait le conservatisme et la défense des valeurs traditionnelles. Pourtant, ces distinctions se sont érodées. La gauche institutionnelle a abandonné les classes populaires au profit d’un moralisme sociétal et d’une soumission aux intérêts supranationaux. Quant à la droite traditionnelle, elle a troqué sa défense de l’identité nationale pour un libéralisme économique sans frontières, oubliant la souveraineté au passage.

De Jaurès à aujourd’hui : un lent basculement idéologique de la gauche

Aujourd’hui, une grande partie de la gauche s’est embourbée dans un progressisme désincarné, souvent coupé des réalités populaires :

  • Le remplacement du combat social par des luttes identitaires et communautaires, aboutissant à une fracture au sein même des classes populaires.
  • La déconnexion des classes ouvrières et populaires qui a déplacé son électorat vers une population urbaine et les BOurgeois-BOhème favorables au mondialisme.
  • Le rejet du cadre souverain et national, au profit d’un internationalisme dogmatique, souvent aligné sur les logiques de gouvernance supranationale (UE) et sur les intérêts des élites globalisées.

De Jean Jaurès à aujourd’hui, il y a eu un basculement idéologique total. On est passé d’une gauche du peuple à une gauche de la « bonne conscience » qui, sous couvert d’universalisme et d’inclusivité, promeut un agenda en rupture totale avec les préoccupations des citoyens. Si Jaurès revenait, il aurait bien du mal à reconnaître cette gauche qui se revendique pourtant de son héritage, et s’il y a une vie après la mort il doit en perdre le sommeil…

Bien qu’elle ait gardé son étiquette, la gauche moderne a perdu toute légitimité après son glissement vers le néolibéralisme et le mondialisme. Ce glissement s’est fait progressivement à partir des années 1980–1990, notamment avec des figures comme Tony Blair (Royaume-Uni), Bill Clinton (États-Unis), François Mitterrand après son tournant de la rigueur en 1983, et plus tard, François Hollande et Emmanuel Macron en France.


En effet, on peut citer comme exemples :

  • Les privatisations massives (exemple : sous Jospin en France, on a privatisé plus que sous la droite).
  • La dérégulation financière et la flexibilisation du travail, avec des mesures parfois plus libérales que celles proposées par la droite (exemple : loi El Khomri en France sous Hollande officiellement appelée Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels).
  • L’alignement sur l’Union européenne et la mondialisation économique, malgré les effets dévastateurs sur l’industrie et le pouvoir d’achat des classes populaires.

Ce basculement a éloigné la gauche de son électorat traditionnel, notamment ouvrier et rural, qui s’est senti trahi. Aujourd’hui, on fait semblant de s’étonner que le RN en France recueille énormément de voix dans le monde rural et chez les travailleurs, mais ce glissement est largement compréhensible et justifié.

Autrefois, la gauche se voulait une alternative au capitalisme débridé. Aujourd’hui, elle accompagne les grandes multinationales et la financiarisation du monde :

  • Collusion avec les GAFAM et les grandes banques, sous couvert de modernisation.
  • Promotion du Greenwashing et du capitalisme woke, dans lesquels l’engagement social et écologique devient un argument marketing plutôt qu’un véritable combat de classe.
  • Désignation des peuples eux-mêmes comme étant les ennemis de la nation, en diabolisant toute contestation populaire comme du populisme ou du complotisme.

Ceci explique pourquoi les classes populaires se détournent massivement d’elle au profit de l’abstention ou d’alternatives dites populistes (droite souverainiste ou extrême gauche radicale). En somme, la gauche actuelle s’est reconvertie en courroie de transmission du capitalisme globalisé et des intérêts des élites financières, tout en prétendant défendre un progressisme sociétal.

La droite n’est plus le moteur de la prospérité et de l’ascension sociale

Quant à la droite, son évolution suit étrangement un schéma assez similaire à celui de la gauche : elle a progressivement abandonné ses fondements historiques pour se fondre dans la même vision néolibérale et mondialiste. Elle qui était autrefois une force de stabilité économique et de promotion de l’ascension sociale, elle est devenue un outil politique de globalisation économique et de financiarisation extrême, ceci au détriment des classes moyennes qu’elle avait pourtant contribué à créer et à renforcer.

Pendant une grande partie du XXe siècle, même si les gens de gauche peinent à le reconnaître, la plupart du temps par atavisme, la droite économique a été un des principaux moteurs de la croissance et de la consolidation de la classe moyenne :

  • Encouragement à l’entrepreneuriat, au travail et à l’épargne, permettant aux individus d’accéder à la propriété et d’améliorer leur condition.
  • Politique de réindustrialisation et de souveraineté économique, où l’État accompagnait le développement du capitalisme productif.
  • Création d’un cadre propice à l’ascension sociale, où les classes populaires pouvaient gravir les échelons grâce à l’éducation, au mérite et à l’effort.

C’est sous cette ancienne droite que la classe moyenne s’est considérablement développée, réduisant la pauvreté et instaurant un modèle où l’emploi stable et bien rémunéré était la norme.

À partir des années 1980–1990, sous l’influence du thatchérisme, du reaganisme et de la mondialisation accélérée, la droite a abandonné le capitalisme industriel pour adopter un capitalisme financier dans lequel l’argent n’est plus en relation avec un travail fourni. La dérégulation massive des marchés a favorisé les grandes entreprises au détriment des PME, organisé les délocalisations et les destructions des emplois industriels, tout ceci provoquant une paupérisation de territoires autrefois prospères avec pour conséquence l’érosion des protections sociales et salariales, sous couvert de compétitivité.

Les banques, qui autrefois n’hésitaient pas à jouer le jeu des financements industriels, ne pensent plus qu’en termes de rentabilité de l’argent, alors qu’elles ne le possèdent même plus, car ce ne sont désormais des chiffres qui changent de colonnes. Aujourd’hui, dans ce système néolibéral, la presque totalité des transactions financières dans le monde ne concernent plus que des revenus financiers qui n’ont aucun rapport avec le travail ou la fourniture de marchandise. En somme, aujourd’hui c’est de l’argent virtuel qui sert à générer des dettes qui le sont tout autant.

La destruction de la classe moyenne au profit de l’ultra-élite et d’une classe de consommateurs précaires

Aujourd’hui, la droite néolibérale et la gauche mondialiste convergent vers le même projet : la disparition de la classe moyenne qui représentait autrefois un contre-pouvoir face aux élites économiques et politiques. L’objectif est de remplacer une population stable et autonome par une masse de travailleurs précaires, endettés et entièrement dépendants du système. La classe moyenne subit une pression fiscale croissante, car elle représente une manne idéale : trop riche pour bénéficier des aides, mais pas assez pour échapper à l’impôt comme le font tous les ultra-riches. L’accès à la propriété est rendu de plus en plus difficile, avec des salaires stagnants et une inflation des prix immobiliers, le salariat se précarise avec l’uberisation du travail et la suppression des contrats stables. Et last but not least, un crédit social implicite se met insidieusement en place, les individus devant constamment prouver leur conformité au système pour accéder à certains services (exemple : notation bancaire, ESG dans les entreprises…).

L’extrême centre, une fusion des pires travers

C’est ce nouveau consensus qui mêle autoritarisme bureaucratique, conformisme idéologique et capitalisme financier totalement débridé. Il prétend représenter la modération et le pragmatisme, mais en réalité il fonctionne comme une idéologie totalitaire qui rejette toute contestation. Il s’agit d’une réelle inversion des valeurs, le totalitarisme prétendant être le bouclier de la démocratie.

Sur le plan économique, il adopte une vision ultra-libérale en démantelant les services publics et en les soumettant aux grandes multinationales. Ce n’est plus un capitalisme productif qui favorise l’ascension sociale et l’augmentation du niveau de vie, mais une économie de rente et de précarisation généralisée où la classe moyenne se voit progressivement remplacée par une population de travailleurs précaires.

Comme le chantait Francis Cabrel : « J’aimerais que quelqu’un vienne et me délivre, mais celui que je viens de choisir m’a donné juste assez pour survivre et trop peu pour m’enfuir ». Ce phénomène n’est pas un accident, mais bien une stratégie visant à créer une société de consommateurs captifs, privés des leviers traditionnels de la liberté économique et politique.


Sur le plan sociétal, il impose une pensée unique sous couvert de progrès : la censure des voix dissidentes, la criminalisation de l’opposition, l’ingérence toujours plus importante dans la sphère privée. L’ancienne gauche, qui prônait l’émancipation, est devenue le fer de lance de la surveillance des comportements et des opinions, tandis que la droite, jadis garante des libertés individuelles, s’est convertie à une logique de contrôle et de restriction au nom de la sécurité.


Sur le plan démocratique, cet extrême centre ne gouverne plus que par la peur, l’urgence et la rétorsion permanente en contournant les processus parlementaires et en imposant des normes sous prétexte de crise sanitaire, climatique ou sécuritaire. La technocratie a remplacé la représentation populaire, et les citoyens sont désormais considérés comme des sujets à administrer plutôt que des acteurs politiques. Ce courant se pare des atours du « bon sens » et de la « rationalité », mais il fonctionne avant tout comme un système de contrôle qui refuse tout débat contradictoire. Est-ce que la disparition de la classe moyenne est un projet concerté ? Oui, sans aucun doute.

Vous ne posséderez rien et vous serez heureux

Cette phrase est attribuée à tort à Klaus Schwab, le fondateur du World Economic Forum de Davos, mais s’il n’a jamais dit ni écrit cela, elle provient néanmoins d’un article d’Ida Auken publié sur le site du WEF en 2016. Cette petite phrase synthétise le concept d’une transformation en profondeur du système économique mondial qui inclut notamment :

  • Une économie de l’accès plutôt que de la propriété (exemple : location et abonnements généralisés plutôt que possession individuelle).
  • Une transition vers un modèle de capitalisme des parties prenantes où les grandes entreprises jouent un rôle central dans la gestion de la société, au-delà des États-nations.
  • Une accélération de la numérisation et du contrôle des populations, justifiée par des impératifs de sécurité, de durabilité et d’efficacité économique.

L’extrême centre est aujourd’hui ce système politique qui promeut cette ingénierie sociale dirigée par une élite mondiale et qui vise à réduire la liberté individuelle sous couvert de progrès et de modernité.

La convergence des esprits libres

Face à cet extrême centre, une nouvelle alliance se dessine. Des intellectuels et observateurs autrefois classés à gauche ou à droite se rejoignent dans un front de la lucidité. Ils réalisent que le véritable clivage n’est plus idéologique ou politique, mais qu’il oppose aujourd’hui les élites dirigeantes aux peuples gouvernés. Des figures de la politique et du journalisme comme Michel Onfray, François Ruffin, Éric Zemmour, Philippe de Villiers, Christian Combaz, Didier Maïsto, Alexis Poulin, et bien d’autres, que tout semblait opposer, dénoncent aujourd’hui les mêmes dérives et avec les mêmes mots :

  • La destruction des libertés fondamentales au nom d’une pseudo-modernité;
  • La concentration du pouvoir entre les mains d’une élite hors-sol;
  • L’hypocrisie d’un progressisme qui sert avant tout les intérêts des puissants;
  • La destruction de nos valeurs, de notre histoire et de notre culture.

Cette prise de conscience amène à repenser l’engagement politique non plus en fonction d’un axe gauche/droite, mais autour de valeurs fondamentales : souveraineté, libertés individuelles, culture, justice sociale et démocratie réelle.

Quel avenir face à l’extrême centre ?

Ce courant dominant se maintient par la propagande, la censure et la répression. Mais il pourrait engendrer une réaction de plus en plus forte, car les citoyens commencent à voir clair. La grande question est de savoir comment structurer une alternative efficace sans tomber dans les pièges des extrêmes ou de la récupération politique. L’heure est peut-être venue de refonder un discours politique basé sur la raison, l’intelligence et la souveraineté populaire. Une nouvelle force politique peut émerger, portée par ceux qui refusent de se laisser enfermer dans de vieux schémas devenus obsolètes. Finalement, la véritable fracture politique aujourd’hui n’oppose plus la gauche à la droite, mais bien ce nouveau système de gouvernance et ceux qui cherchent à lui résister. La lucidité devient une nouvelle boussole, et elle ne connaît pas de couleur politique.

Serge Van Cutsem

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