Dans cette interview, Constantin Mirabel analyse la victoire de Trump à l’aune de la liquéfaction de la gauche, incapable de se remettre en question et de penser l’époque. Il se rie à juste titre de ceux qui portent sans cesse à leur bouche le mot démocratie mais pour qui elle ne veut plus rien dire, si ce n’est la défense de ceux qui pensent comme eux et le bûcher pour les hérétiques.

Kairos : La victoire de Trump préfigure-t-elle le renouveau du fascisme ?
Constantin Mirabel : Il faut voir cette séquence incroyable où le président des États-Unis signe un décret sous les acclamations de nombreuses jeunes sportives, pour les protéger de l’intrusion des hommes dans les compétitions féminines. La gauche culturelle aura réussi l’exploit à peine croyable à transformer Trump en héros féministe. Cela devrait l’amener à s’interroger. Bien entendu, c’est le contraire qui se passe.
Quand le projet politique de la gauche est de permettre à un homme, travesti ou pas, de se désigner comme une femme pour entrer dans le vestiaire des filles, le seul recours de la population devient alors Trump. Quand la gauche défend l’idée que « la liberté, c’est la censure », la résistance est alors Musk. La gauche pousse, et a poussé, ainsi la population dans leurs bras. Elle ne doit s’en prendre d’abord qu’à elle-même. Bien entendu, elle ne le fait pas ; il est éminemment plus facile de crier au fascisme. Par réflexe conditionné, elle renvoie toute interrogation à l’« extrême-droite ». Elle le fait tout en accompagnant avec bienveillance des figures comme Raphaël Glucksmann, représentant des néo-cons et faucons US, défenseur inconditionnel du gouvernement d’extrême droite israélienne pour qui les Palestiniens sont des « animaux humains ». La gauche culturelle est persuadée que l’Europe reste le refuge du pluralisme démocratique, persuadée qu’incarcérer ses contradicteurs, comme le candidat antisystème roumain, est un acte de défense de la liberté. Les boomers, c’est la génération Ceausescu de la gauche culturelle. Un homme de gauche d’ailleurs. Cette gauche porte la hantise de la démocratie, ce « pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Cette démocratie, elle l’a rebaptisée « populisme » pour porter la technocratie au pouvoir. D’ailleurs, cette démocratie, elle est convaincue de l’incarner toute seule. Selon cette perspective, tout contradicteur ne peut en être que l’ennemi.
La gauche culturelle des boomers se veut la championne du changement, mais semble incapable de conceptualiser que le monde a changé. Elle demeure persuadée que l’ennemi est le catholicisme, alors que nous sommes dans un monde post-chrétien. Elle fait du patriarcat le problème majeur, alors que nous avons basculé dans le matriarcat, dont la forme extrême n’est pas moins terrifiante que la première. Elle hurle contre les souverainistes ou les populistes, mais défend le système Otan-UE-Covid : « Donc on peut rester optimiste. Si les Européens prennent la relève, la guerre peut continuer ! », s’enthousiasme le présentateur vedette de LCI(1). Convaincu d’être le rempart de la laïcité, elle est imperméable à l’observation décrivant le sacré comme inhérent à l’humain, et se déplaçant de structures religieuses vers d’autres, profanes. Elle est ainsi Charlie, mais aveugle au fait que Charlie est le nouveau sacré. Qu’on doit être Charlie, sous peine de blasphémer. Or, il n’y a pas plus fondamentaliste qu’un religieux athée. Car si le religieux sait qu’il croit, le religieux athée est persuadé que sa croyance relève de l’objectivité. Il est le dupe de sa subjectivité.
La réflexion du philosophe Bruno Latour sur cette génération était pleine d’acuité : « Vienne le temps où tous ces bébés prolongés devenus papy boomers passent en jugement, eux, les seuls qui n’avaient pas connu de guerre et qui, en pleine paix, quand rien ne les menaçait, ont saccagé de leurs mains, les uns après les autres, les moyens de vivre dont leurs parents les avaient gorgés dans leur enfance bénie. Qu’on les révise à leur tour, eux aussi, ces universels révisionnistes. Ils ont profité à fond du catéchisme comme de l’école, des humanités comme des sciences, de l’histoire comme de la géographie, de l’État comme de la politique, mais à leurs enfants qu’ont-ils légué ? L’autonomie. Car c’est au nom de la sainte liberté qu’ils ont détruit les institutions qui les avaient accouchés à l’existence. Et eux, qu’ont-ils enfanté ? Des mort-nés. Libres, ils le sont, leurs rejetons, libres à crever, car ils n’ont hérité que de la liberté, tandis que leurs parents indignes avaient reçu en partage ces attachements innombrables dont ils s’aperçoivent maintenant, trop tard hélas, qu’ils formaient la matrice même de l’autonomie.(2) » Mais, et c’est plus fort qu’elle, la gauche culturelle ne pourra s’empêcher de renvoyer ces considérations à un soutien de l’axe du Mal, Poutine, Trump & assimilés. Elle est incapable de réfléchir par elle-même. Pour penser, il lui faut un ennemi qu’elle diabolise, histoire de se sentir dans le camp du Bien.
La situation en France semble ainsi complètement figée. Car cette génération des boomers, c’est aussi la dernière à sortir, dans les associations, les partis, les rendez-vous culturels. La France vivante, en opposition à sa progéniture techno-zombifiée, est une France de vieux, dans sa masse comme dans sa part encore rebelle. Ainsi dans les manifestations contre le techno-totalitarisme covidien, la jeunesse était quasiment absente.
Comment, dans ce contexte, défendre la vérité ?
Il faut revenir à l’affaire Brigitte Macron. Elle est centrale, emblématique, en ce qu’elle révèle la difficulté, quasi-insurmontable, pour la masse d’en parler sereinement. C’est sur des tabous que se bâtissent des sociétés. C’est normal, car le sexe est le cœur de notre condition. Nous sommes tous hommes et femmes, venant d’un homme et d’une femme. Mentir à ce sujet, c’est mentir sur tout. Par exemple, quand nous nous présentons, la première chose que nous faisons est de nommer le sexe de l’Autre : « Monsieur », ou « Madame ». Pour revenir à M. Trump, contrairement à ses dires, « There are only two genders, male and female », il n’y a pas que deux genres, mais une infinité. De fait, la part culturelle du sexe ouvre sur l’infini de notre imaginaire. On peut tout y être : une femme avec une pénis comme une antilope avec une tête marteau piqueur. En revanche, il y a bien deux sexes : homme et femme, soit les chromosomes XY et XX(3). Dans les mass médias, toute simple interrogation sur l’affaire Macron vaut délire. Un seul exemple, ici avec Euronews, mais tous les médias fonctionnent selon cette même rhétorique : « Brigitte Macron à nouveau visée par de fausses rumeurs sur son genre ». (4 février 2025). L’information est décrétée fausse avant même d’avoir été étudiée. Ce qui équivaut à la négation même du journalisme. Le ton est à la menace, quoi que l’on conclue du sexe de Brigitte Macron. Ce qui est bien paradoxal, car les mass médias font continuellement l’apologie du transsexualisme, tandis que parallèlement ils présentent la moindre interrogation sur l’épouse du Président comme de la « transphobie ». Il faudrait savoir ! Ce traitement est symptomatique de ce qu’ils sont devenus. En tous cas, il y a de quoi y perdre son latin. Nous vivons ainsi dans l’empire du mensonge. Mais le pire semble que ce monde de l’inversion restitue le juste reflet de la psyché des boomers de la gauche culturelle, qui s’en satisfont pleinement. Pour eux, le problème, c’est Bolloré, même si leur système est arrivé à faire interdire sa chaîne C8. Nous pourrions nous en ficher, en ne regardant pas ce style de médias. Hélas, il faut nous y intéresser, car le censure est révélatrice de leur caractère liberticide.
L’écologie politique peut-elle être une bouée de sauvetage dans cet effondrement ?
Selon un récent sondage(4), le seul parti où une majorité des membres croient qu’il n’y a pas deux sexes est Les Écologistes (ex Europe Écologie-les Verts). Malgré la propagande médiatique, les trois-quarts de Français demeurent, eux, rationnels. Il faut vite renvoyer ces « écologistes » à leurs études de biologie, mais au cours de première année. À cet égard, que Sandrine Rousseau soit devenue une figure centrale, non seulement de l’écologie politique, mais de la vie politique française tout court, est symptomatique. Certes, il ne faut pas psycho-pathologiser ses contradicteurs ; toutefois, il est de notre devoir de discerner le sain du malade. Suite à l’affaire Julien Bayou, son esprit figé dans la glace, plutôt que de faire amende honorable après une décision de justice, elle s’acharne dans l’impunité médiatique(5). N’oublions pas aussi le site du journaliste Hervé Kempf. Afin de leur arracher des confessions publiques pour l’accabler, Reporterre était allé jusqu’à mandater une « journaliste » pour rechercher les témoignages d’anciennes compagnes de l’ex-secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts(6). Mais quelle folie passe donc actuellement dans la tête de certains « écolos » ? Voilà que ceux qui prétendent faire profession de la dénonciation des méthodes policières et de la délation se livrent à ce qui peut se faire de pire en ce domaine. Cela expose la dérive actuelle consistant à confondre défense de la nature et police des mœurs à l’iranienne. Cela relève aussi d’une certaine logique, car nos néo-pudibonds nient parallèlement le réel le plus élémentaire : la sexuation. Mais on ne peut prétendre défendre l’écologie, c’est-à-dire la vie, et en nier le fondement. Ainsi M. Bayou, personnalité caractéristique de la gauche culturelle(7), se retrouve dans la position de l’arroseur-arrosé.
P. S. : Le 27 février dernier, le site du journaliste Hervé Kempf titre « Fin de C8 : des écologistes organisent un “pot de départ” pour Hanouna et Bolloré ». Extrait : « “Nous buvons à la santé de la démocratie !” lance Gaïa, porte-parole d’AJC [Action Justice Climat], sous les hourras et entre deux slogans. Autour d’elle, la cinquantaine de militants venus à ce “pot de départ” brandissent une grande banderole et des pancartes où l’on peut lire “Marre de ta haine, rends l’antenne”, “Médias sauce bollo, boulevard pour les fachos” ou “Bollorisation médiatique, péril démocratique” ». Ce sont les mêmes qui voient dans la politique liberticide menée pendant l’épisode Covid la solution à la crise écologique. « La censure, c’est la démocratie » pensent-ils. Que se passera-t-il si, un jour, des droitards arrivés au pouvoir grâce à leur immaturité interdisent à leur tour Reporterre ? C’est d’ailleurs ce qui se passe actuellement, par exemple, avec la députée Rima Hassan. Au motif de son action pro-palestinienne, son collègue lepeniste Jean-Philippe Tanguy demande sa déchéance de nationalité. D’un côté comme de l’autre, voilà le résultat lorsque l’objectif n’est plus de débattre avec ses contradicteurs et adversaires, mais de les criminaliser.
Constantin Mirabel
- Darius Rochebin, 24 février 2025.
- Jubiler ou les tourments de la parole religieuse, Les Empêcheurs de penser en rond, 2002.
- Énième supplique aux imbéciles sur ce sujet : ils ne m’apprennent rien en m’expliquant qu’il existe quelques (infimes) cas de doute. Ceux-ci n’invalident pas la règle mais la confirment.
- CSA, 25 janvier 2025.
- « Affaire Julien Bayou : la députée écologiste Sandrine Rousseau n’a « pas de regrets » et déplore le manque d’ »analyse politique de la situation » », France Info, 26 février 2025.
- « Affaire Julien Bayou : les femmes parlent », 25 octobre 2022.
- « C’est 300 milliards [voler les avoirs russes gelés] qui peuvent immédiatement soutenir l’effort de guerre ukrainien et la reconstruction et c’est aussi envoyer le message que l’Europe ne plie pas, ne faiblit pas dans son soutien à l’Ukraine », Julien Bayou, AFP, 15 avril 2023.