Planche à billets et savonnage de planche pour les Européens

Dans le contexte géopolitique actuel extrêmement mouvant et tendu, L’Europe s’apprête donc à injecter 800 milliards pour financer son réarmement. Une enveloppe qui devrait d’ailleurs se rapprocher plus des 1000 milliards d’euros. Un exercice déjà bien rodé se met en place à l’instar des crises précédentes. Le son de clairon se propage dans tous les médias. La guerre est à nos portes ! Cette fois, nous ne sommes plus en guerre contre un virus, comme avait dit Macron, mais contre les Russes. Un épouvantail bien commode qui réveille dans la mémoire des Européens les peurs de la guerre froide et la Russie amalgamée au fantôme de l’URSS, le meilleur ennemi d’autrefois.

Même si la Russie de Poutine n’a strictement plus rien à voir avec l’ère communiste, qu’à ce la ne tienne, on ne s’arrête pas à une aussi vulgaire approximation. Tous à vos abris et à la confection de son kit de survie, sous les conseils de « Dora l’exploratrice », je veux parler de notre Commissaire européenne Hadja Lahbib.

La véritable inquiétude que nos concitoyens européens peuvent ressentir, ce n’est pas évidemment de voir les chars russes défiler sur les Champs Élysées ou avenue Louise, ils auraient bien de la peine sur cette dernière artère bruxelloise constamment en travaux. Non, la crainte réelle concerne nos finances. A quelle sauce va-t-on encore être mangé ?

Nos éminences la main sur le cœur et leurs porte-voix des médias bien entendu affirment avec conviction qu’on n’augmentera pas les impôts et que la sécurité sociale sera préservée. Sûr ?

La planche à billets

Pour justifier ces nouvelles dépenses, ils vont à nouveau faire tourner la planche à billets. L’indépendance militaire européenne faisant consensus dans les allées du pouvoir, à quelques nuances près, nous voilà à nouveau repartis pour un cycle d’impression monétaire, alors que les conséquences des précédents épisodes sont très loin d’avoir été encore absorbées. Pas un mot bien sûr sur les effets que le nouveau « Quantitative Easing » aura sur les citoyens et les épargnants.

Alors comment les magiciens européens vont-ils s’y prendre ? Par l’endettement pardi !

Les États membres se voient octroyer un traitement de faveur dans le cadre du Pacte de stabilité (1). Les dépenses de défense seront exclues du calcul de l’endettement. En conséquence, les dettes des états vont exploser les plafonds, y compris celui de la prudente et orthodoxe Allemagne.

La relance militaire va se faire avec de l’argent imprimé, qui va encore une fois détruire la valeur de l’euro, pourtant déjà mal en point.

Rappelons un instant ce qu’est un « Quantitative Easing ». Le QE comme on l’appelle aussi est un programme de rachats massifs d’actifs, essentiellement des titres d’emprunts d’État des pays membres de la zone euro. La planche à billets revient donc à créer de la monnaie ex nihilo ne reposant sur aucune valeur réelle. Alors que dans une situation normale, lorsqu’une banque centrale d’un état crée de la monnaie, elle doit disposer de contreparties à la masse monétaire nouvelle. Par exemple de l’or, des réserves de changes ou des titres comme des obligations d’état qui se retrouvent à l’actif de son bilan. Cette « monnaie de singe » qui ne repose sur rien permet à la banque centrale de monétiser la dette, c’est-à-dire qu’elle finance ainsi directement le déficit.

Le danger immédiat d’un excès de création monétaire, c’est bien entendu une inflation galopante. Si la monnaie qui circule ne correspond pas à une création de richesse équivalente et que les quantités ne s’ajustent pas, ce sont les prix qui le feront.

Le tonneau des Danaïdes

Au vu des ordres de grandeur, nous allons devoir nous préparer à une perte d’achat majeure, comme lors d’une crise économique. Même si les Russes et les Américains venaient à signer une paix durable en Ukraine, la situation en Europe continuerait à se dégrader. N’oublions pas que la BCE n’a toujours pas apuré le résultat des précédentes crises monétaires notamment celle de la « plandémie ». L’Europe est tombée dans le tonneau des Danaïdes (2).

Certains experts s’interrogent sur la pertinence de la réponse militaire et jugent que l’Europe s’engage dans des dépenses inadaptées. Les États membres vont se lancer en ordre dispersé et faire chacun leur « marché » dans une totale cacophonie et incohérence. Mais nos spécialistes sont totalement à côté de la plaque. Les instances européennes les mènent en bateau, car ils confondent monnaie et économie réelle.

Disons-le clairement et à haute voix, le plan « Rearm Europe » est d’abord MONÉTAIRE avant d’être militaire.

Depuis 2008, nous sommes dans une fuite en avant monétaire savamment orchestrée. De crise en crise, voulue ou non, les montants mis sur la table vont crescendo. En 2008, c’était 80 milliards sur une masse monétaire de 9.000 milliards. En 2015, on passait à 220 milliards. Mais ce QE n’a en réalité pris fin qu’en 2019 et c’est 830 milliards finalement qui ont été créés. La BCE a donc augmenté de 30 % l’euro en circulation.

On a connu alors un bref répit de … 3 mois. Aussitôt après l’opération Covid nécessita un nouveau cycle initialement estimé à 750 milliards. Au bout de 2 ans, on doit constater que les euros en circulation ont bondi de 24 %, soit 3.000 milliards d’euros.

Bref, c’est une véritable fuite en avant monétaire, justifiée évidemment par l’urgence et une gravité de la situation relayée par tous les médias aux ordres, sans aucune réflexion, ni analyse approfondie.

La profonde inculture économique alimentée par les dirigeants et les journalistes qui avancent l’argument fallacieux de la complexité de la chose, pour cacher aussi leur propre incurie, a pour conséquence de passer complètement à côté d’une réalité incontestable : des euros, ce ne sont pas des vaccins ou des chars. La monnaie n’est pas de la richesse, c’est une créance sur la richesse existante.

En conséquence, en augmentant de 6 % la masse monétaire (correspondant à 1.000 milliards d’euros), le pouvoir d’achat des salariés, épargnants, retraités va diminuer de 6 % également. En revanche, les fournisseurs des biens désirés (en majorité les firmes du complexe militaro-industriel américain) vont gagner le gros lot de l’EuroMillions.

Suite à l’annonce d’Ursula von der Leyen du plan « Rearm Europe », les marchés financiers ont réagi au quart de tour, les rendements obligataires ont bondi. C’est le cas des Bunds allemands (3) à 10 ans, qui servent généralement de référence. Le 5 mars 2025 dernier, ils ont connu une augmentation de 0,31 point, passant à 2,79 %, soit la plus forte hausse depuis 1997. Mais c’est l’euro évidemment qui a été frappé directement par une dépréciation par rapport aux autres monnaies, dont une chute de 10 % par rapport au dollar. Fuyant cette zone monétaire en déliquescence, on assiste à une sortie massive de capitaux. On parle de 300 à 325 milliards, selon certaines sources qui citent Antonio Costa, le nouveau Président portugais du Conseil européen.

La chute de Francfort

La situation de la BCE est d’autant plus dramatique qu’elle vient d’annoncer des pertes records en 2024. Pour la deuxième année consécutive, la Banque centrale européenne a terminé son année comptable avec une perte. Après celle d’environ 1,3 milliard d’euros en 2023, la perte de 2024 s’élève à près 8 milliards d’euros (4). L’évolution des taux a en effet pesé sur les actifs et a renchéri le passif. Dans sa lutte contre l’inflation, qui est sa raison d’être, la BCE a acquis des actifs financiers, des obligations des États membres principalement. Ces titres représentent aujourd’hui 60 % de ses actifs. Du côté du passif, on retrouve, outre les billets en circulation, les dépôts des banques commerciales, que la BCE rémunère maintenant à des taux d’environ 4 %, alors qu’ils étaient en négatif jusqu’à 2021. Par conséquent, la hausse des taux augmente fortement la charge des intérêts sur ces engagements.

Ces pertes de la BCE entraînent une absence de versement de dividendes aux banques centrales nationales et donc des pertes également pour les trésoreries des États. Cette situation risque de se prolonger durablement et aucun retour en arrière n’est prévu avant longtemps.

Le temps des alliances

Pour les citoyens européens, le plan de réarmement militaire va accélérer le choc inflationniste et par conséquent une chute dramatique de leur pouvoir d’achat. Tout cela pour une chimère alors que Russes et Américains multiplient les discussions pour mettre fin à la guerre en Ukraine.

Mais il faut impérativement se faire à l’idée que derrière cette hystérisation belliciste, il y a à nouveau une opération financière de grande ampleur qui va accélérer l’effondrement économique et social du vieux continent. Tout cela à l’heure d’un nouveau Yalta entre les trois puissances mondiales, les États-Unis, la Russie et la Chine.

L’aggravation de la fracture sociale doit convaincre les peuples d’Europe qu’ils ne peuvent plus être dirigés par une élite prédatrice et corrompue. Donald Trump qui est occupé de l’autre côté de l’Atlantique à nettoyer le marais, à purger l’administration américaine et à tourner le dos aux politiques néoconservatrices, se rend compte aussi que l’Europe se transforme en dernier refuge de ces globalistes qui prônent wokisme et gouvernance mondiale. Il est évident qu’il ne laissera pas se reconstituer une résistance à son projet conservateur et souverainiste. Ces ennemis de l’intérieur, qui à l’instar de Georges Soros, veulent faire de l’Europe une base arrière, seront inévitablement combattus avec énergie. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre sa volonté de voir disparaître des entités supranationales comme l’OTAN ou l’Union européenne.

Dans les temps proches se profilera sans doute une nouvelle alliance possible entre les populations européennes qui résistent à l’ordre mondial et le leader d’une grande puissance libre et à nouveau maîtresse de son destin.

Bernard Van Damme

Notes et références
  1. Le pacte de stabilité et de croissance désigne un ensemble de règles de discipline budgétaire que les États de la zone euro se sont engagés à respecter.
  2. Les Danaïdes sont, dans la mythologie grecque, les cinquante filles du roi Danaos. Condamnées aux Enfers pour le meurtre de leurs cousins qu’elles devaient épouser, elles doivent remplir sans fin un tonneau troué. Le tonneau des Danaïdes désigne une tâche absurde et sans fin.
  3. Emprunt d’État à long terme émis par l’Allemagne.
  4. https://www.vie-publique.fr/en-bref/297549-zone-euro-pourquoi-la-bce-t-elle-enregistre-des-pertes-en-2024

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