Cela fait maintenant une centaine de jours que Didier Reynders a été perquisitionné et interrogé dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent. En effet, l’ancien commissaire européen a été dénoncé en 2023 par le Lotto, et ensuite la banque ING, pour avoir blanchi respectivement environ 200.000€ et 800.000€ via leurs structures respectives. Cet événement a fait l’objet d’innombrables commentaires et de plaisanteries. En effet, l’ancien ministre des Affaires étrangères n’était pas le dernier à faire la morale aux autres politiciens, au peuple belge et même aux Européens. Réputé très intelligent, l’homme avait eu par le passé dans ses compétences la Loterie nationale. Il avait comme responsabilité, en tant qu’ancien ministre des Finances et ancien commissaire européen à la Justice, la lutte contre le blanchiment. Sa chute semblait dès lors particulièrement ridicule. Cependant, aucun journaliste, jusqu’à présent, ne semble avoir relevé l’innombrable liste des affaires dans lesquelles le nom de Didier Reynders a été cité.
Ce dernier bénéficie, dans notre État de droit, de la présomption d’innocence, mais son silence devient assourdissant. Pour ce faire, notre fil conducteur sera l’ouvrage écrit par Philippe Engels et publié en 2021 aux éditions Kennes, Le Clan Reynders. La sortie de cet ouvrage aurait dû provoquer l’arrestation immédiate de Reynders et son complice, Jean-Claude Fontinoy, tellement les faits dénoncés dans ce livre étaient graves. Mais comme d’habitude, rien ne s’est produit. Pas de poursuites à l’encontre des deux compères, mais rien non plus contre l’auteur du livre. Évidemment, nous nous réfèrerons également à nos propres articles, et en particulier Bienvenue en ploutocratie, un article publié dans Kairos le 17 avril 2018.
Voici donc une liste non exhaustive des faits et méfaits autour desquels on retrouve les noms de des deux hommes :
- Le désamiantage du bâtiment européen historique. Via la société SA Berlaymont 2000, Reynders aurait fait nommer l’avocat André Tossens comme liquidateur et aurait perçu de nombreuses enveloppes de cash comme commission occulte entre 2009 et 2012 (p. 18 du livre Le Clan Reynders). Il est à noter que Reynders avait fait nommer à la tête de la Régie des bâtiments son éternel complice Fontinoy. Ce dernier était dès lors idéalement placé en vue d’innombrables opérations de corruption.
- L’affaire du Kazakhgate, que nous pouvons résumer comme ceci : trois anciens du KGB servent d’intermédiaires entre la société Tractebel et le pouvoir kazakh dans la négociation de l’achat de centrales thermiques. Ils empochent une commission occulte de dizaines de millions de francs belges. Mais le contrat ne sera jamais signé. Ils sont alors poursuivis par la justice belge, et pour éviter une condamnation, le président kazakh conditionne la signature d’important contrats d’armements avec Nicolas Sarkozy à la fin des poursuites de ses amis, en Belgique. Le président français négocie avec Armand De Decker la mise en vigueur d’une loi spéciale permettant au trio de payer une transaction pénale, comme s’il s’agissait d’une vulgaire amende routière. Derrière le bourgmestre d’Uccle, l’ombre de Didier Reynders est omniprésente. Il est établi que De Decker a touché 730.000€, mais il ne sera jamais poursuivi, car il décède, le plus opportunément possible pour Reynders, le 12 juin 2019. Sa disparition permet à la justice de clôturer l’affaire.
- Le déménagement de la police judiciaire (p. 28). En 2014, la police judiciaire déménage vers la Cité administrative et un nouveau bâtiment, le RAC 2. La Cour des comptes estime que 40.000.000€ ont disparu dans l’opération. Le seul inquiété est le commissaire Glen Audenaert, poursuivi pour corruption.
- Les fonds libyens gelés et l’impossibilité pour le prince Laurent de récupérer la créance de son asbl (p. 35). L’ONU décide de geler les fonds libyens détenus par la banque Euroclear pour éviter de financer la guerre civile dans ce pays. Reynders, en violation de cette décision, fait virer les intérêts de ces fonds à une faction libyenne (environ un milliard et demi €). Il fait porter le chapeau à un certain Marc Monbaliu, obscur fonctionnaire en charge de la trésorerie. Le prince Laurent dirige une asbl qui obtient un contrat de reboisement des villes libyennes. Ce contrat est rompu par les nouveau dirigeants de ce pays. Les avocats du prince gagnent devant tous les tribunaux belges et réclament le payement de dommages et intérêts. Le ministre Reynders va faire pression sur les instances libyennes pour qu’elles payent toutes les sociétés belges ayant une créance vis-à-vis de la Libye, à l’exception de l’asbl du prince Laurent. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher les avocats de saisir des fonds libyens, comme ceux détenus par Euroclear.
• La nouvelle ambassade belge en RDC. En 2012, le Belgique décide de construire une nouvelle ambassade à Kinshasa. Jean-Claude Fontinoy est à la manœuvre. Il vend à vil prix l’ensemble des nombreux bien immobiliers que la Belgique possède encore en RDC. Et avec le concours d’un vieux complice de Reynders, Christian Van Buggenhout, ils utilisent la société en faillite depuis une vingtaine d’années pour acheter les terrains nécessaires à la construction (p. 137).
• La proximité avec les services russes. Kairos avait par le passé révélé que le frère de Didier Reynders, Jean-Pierre, avait refait comme architecte les locaux de l’ambassade de Russie au début des années 2000 (Cf. « Bienvenue en ploutocratie », 17 avril 2018). Ces travaux constituaient une voie royale de corruption. En effet, quoi de plus facile que de sur-facturer ces travaux et de partager le bénéfice avec son frère? Dans la même logique, Reynders va rendre un nombre considérable de services aux Russes, comme lorsqu’un tribunal hollandais décide de geler tous les actifs russes en Belgique à la suite d’une décision judiciaire dans le cadre de l’affaire Yukos. En effet, Poutine avait nationalisé cette société sans autre forme de procès, et le tribunal hollandais chargé de l’affaire a estimé qu’il fallait dédommager le propriétaire. Reynders restitue les milliards d’euros gelé le jour même aux Russes, en violation de la décision judiciaire…
Mais l’actualité est particulièrement intéressante car les journaux Humo, Apache et De Morgen ont publié des articles sur un curieux personnage, le baron Ernest de Lammine de Bex. Dans un article intitulé « Les étranges liens de Didier Matray, l’avocat de Didier Reynders », Kairos s’était déjà étonné de l’attribution du titre de baron par les proches de Didier Reynders à de Laminne. En effet le ministre Reynders avait placé dans la commission héraldique en charge de proposer l’octroi des titres nobiliaires au roi son avocat, Didier Matray, ainsi que le père de sa cheffe de cabinet, Luc Bertrand. Seul le roi peut anoblir quelqu’un en Belgique, mais dans le cas d’espèce, ce sont bien les deux représentants de Reynders qui ont proposé la candidature d’Ernest de Laminne. Pour rappel, on retrouve Luc Bertrand dans le conseil d’administration d’ING, la banque qui a omis de signaler que son client Didier Reynders avait déposé 800.000€ d’argent en liquide sur son compte.
Les articles des journaux néerlandophones révèlent de nombreux détails encore plus troublants : la Sûreté de l’État avait donné un avis négatif à la nomination de E. de Laminne, car il était soupçonné de travailler pour les services russes et chinois. Il aurait collaboré par le passé avec le trafiquant d’armes mondialement connu, Viktor Bout, qui était très actif à l’aéroport d’Ostende. Ses avions partaient sur les zones de conflit à travers le monde et revenaient avec de la drogue et des diamants, selon les journaux flamands. Laminne aurait également servi d’intermédiaire avec un oligarques pro-russe, Bidzina Ivanichvili, dans le cadre de l’achat de stock d’armes soviétiques. Fortune faite, Ernest de Laminne a acheté un château à Wezembeek et y a installé un cercle diplomatique. Lors des réunions de cette association du nom de CIDIC se seraient mélangés des haut-dignitaires de l’OTAN, de l’UE, des officiers de l’armée et des institutions avec des officiers de renseignement russes et chinois. Le CIDIC organisait des voyages à l’étranger sous couvert de ses activités de formation de jeunes diplomates.
Nous nous sommes intéressés à un de ces voyages décrit dans la revue Diplomat Magazine et intitulé « Prestigious Cercle International Diplomatique et Consulaire on visit » (28 mai 2016). On soupçonne de Laminne de travailler pour les services russes et chinois. Mais si son cercle s’intéresse à la formation des diplomates, rien de plus normal ! Et là, il faut reconnaître que les thèmes étudiés laissent songeur : la délégation du CIDIC se rend à La Haye le 10 mai 2016 pour visiter le campus Security Delta. Il s’agit du plus grand cluster de sécurité en Europe. En clair, ils sont spécialisés en sécurité et ont formé une « Cyber Security Academy ». Le but est de fédérer les entreprises et les administrations européennes pour renforcer la lutte contre les cyber-attaques, la cyber-criminalité et la protection des données. Bref, une sorte de Saint Graal pour les services russes et chinois ! Tout le monde a droit à une seconde chance…
Nous nous penchons sur un autre voyage, au Luxembourg, cette fois-ci. Et là, on constate qu’Ernest de Laminne et sa bande s’intéressent à l’ESA et à la Société européenne des satellites, où ils sont reçus avec les honneurs. Inutile de dire qu’il s’agit de centres d’intérêt majeurs pour les services offensifs déjà cités. Par acquis de conscience, nous consultons les pages mondaines des réceptions organisées par le CIDIC. Nous constatons la présence d’officiers supérieurs de l’armée belge et de la police en compagnie de l’attaché militaire de l’ambassade de Chine.
Il est temps de récapituler le chapitre russe. La famille Reynders entretient des liens privilégiés avec l’ambassade de Russie au début des années 2000. Son nom est cité dans le Kazakhgate, affaire dans laquelle les principaux protagonistes sont, selon certains, des anciens des services russes. Reynders rend discrètement des services inestimables à la Russie comme dans l’affaire Youkos. Il soutient activement le CIDIC d’Ernest de Laminne et le fait nommer baron, alors que la Sûreté de l’État l’aurait averti qu’il s’agissait d’un espion russe et chinois. Mais quid de sa position de commissaire européen à la Justice et à l’État de droit ? Reynders a été en charge du gel des avoirs russes à travers toute l’Europe et a contrario de leur dégel… Cette position stratégique pourrait lui avoir profité. Il est donc permis de se poser la question suivante : est-ce que le million de Didier Reynders ne sent pas la vodka ?
À l’heure d’écrire ces lignes, nous apprenons que le parquet européen que dirigeait Didier Reynders lorsqu’il était commissaire européen à la Justice, enquête sur sa propre procureure bulgare, Teodora Georgieva (cf. L’Echo, 27 mars 2025, « Le parquet européen enquête sur sa procureure bulgare, Teodora Georgieva »). Les lecteurs de Kairos ont pu déplorer par le passé le système d’omerta mis sur pied par l’autre magistrate bulgare, Laura Kövesi, qui a soigneusement protégé Ursula von der Leyen dans le scandale des contrats de vaccin avec Pfizer. Mme Kövesi était elle-même soupçonnée de corruption dans son propre pays (cf. « Laura Codruta Kövesi », Wikipedia). Le père de Mme Kövesi était haut-magistrat à l’époque communiste.